Innover ne relève pas du métier de professeur
mais du domaine de la recherche
Il y a urgence à creuser la question de la nature du métier d’enseignant
Plutôt que de promouvoir encore l’innovation chez les enseignants, il y aurait urgence à creuser sérieusement la question de la nature du métier, de son avenir et de sa reconnaissance.
L’idée de faire une place reconnue par l’institution aux initiatives prises dans les établissements scolaires date de 1993. Par l’arrêté ministériel du 30 novembre, la direction des lycées et collèges se dote alors d’un « bureau des innovations et de la valorisation des réussites » qui sera progressivement démultiplié dans les rectorats. Près de trente ans après et à la suite de différents changements d’appellation et d’organisation, en 2022, l’innovation pédagogique est prise en charge dans chaque rectorat par un conseiller académique recherche et développement, innovation et expérimentation, relayé dans chaque département.
En 2022, la question n’est donc pas celle de la promotion de l’innovation auprès des enseignants, ils en ont une pratique quotidienne, notamment pour maintenir l’envie d’apprendre (en classe) de leurs élèves. Les questions à se poser sont celles des raisons et du sens profond de l’innovation, de son efficacité et de l’image que sa promotion récurrente donne du métier d’enseignant.
L’inconscient collectif associe innovation et progrès. Utiliser une pratique innovante serait un progrès par rapport aux pratiques usuelles. C’est l’engrenage moderniste dans lequel sont tombées nos sociétés sans y prendre garde et donc sans le maîtriser.
Il existe de nombreux risques inhérents à l’innovation dans l’enseignement. Les exemples suivants illustrent la diversité des situations :
a – celles qui portent sur les méthodes d’enseignement-apprentissage : les méthodes d’apprentissage de la lecture, de la numération, de la compréhension du sens des opérations. A cet égard, Bachelard (1934) a mis en évidence l’existence d’obstacles épistémologiques, qui peuvent expliquer les blocages de certains élèves confrontés à un nouvel apprentissage.
b – celles qui visent à réformer les contenus d’enseignement : remplacer des programmes d’enseignement traditionnels fondés sur l’acquisition de connaissances par des curricula rédigés en termes de compétences à développer et à maîtriser. Or cette innovation n’est pas neutre, comme l’a montré Bernstein (1975) : des élèves fragiles ont de grandes difficultés à repérer ce qu’il convient de retenir dans un ensemble d’activités menées en classe quand celles-ci sont structurées autour de compétences et non pas de connaissances. Il utilise à ce propos l’expression parlante de pédagogie invisible.
c – d’autres innovations portent sur les outils pédagogiques utilisés en classe par les élèves. Par exemple, depuis la fin du XXe siècle, les technologies de l’information et de la communication se sont répandues dans les établissements scolaires. Au départ, cette innovation avait pour but principal de susciter un regain d’intérêt et de motivation chez les élèves, dans le but d’améliorer la qualité de leurs apprentissages.
d – un autre type d’innovation tient à l’organisation pédagogique de la classe, qui relève des choix du professeur. Parfois, l’institution intervient dans ce domaine : par exemple, dédoubler les classes de CP dans les zones difficiles (2020). L’expérimentation menée en 2003 a montré que, majoritairement, les professeurs continuaient à utiliser les mêmes méthodes d’enseignement qu’auparavant, mais plus confortablement. Le gain observé est donc le résultat indirect de la décision prise, et pas celui d’une innovation pédagogique ou didactique.
Il y a urgence à creuser la question de l’avenir du métier d’enseignant
Les enseignants sont « la » clé pour améliorer la qualité de l’éducation. Mais le monde fait face à une pénurie d’enseignant sans précédent : 69 millions devront être formés d’ici 2030. A l’occasion de la Journée Mondiale des Enseignants (5 octobre), l’UNESCO s’est penchée sur cette épineuse question. Les solutions ne manquent pas. Reste par contre à obtenir l’attention des décideurs politiques
Respect, confiance, considération manquent à l’appel. La « reconnaissance sociale », l’expression rythme tous les débats : c’est bien là que le bât blesse. Bien sûr, le salaire est à revoir, la formation aussi (elle se doit d’être initiale et continue, et de proposer autant de pratique que de théorique), l’accompagnement et le mentorat sont également ardemment souhaités. Mais les témoignages d’enseignants de différents pays convergent vers un même point : tous manquent de reconnaissance, de considération, d’un statut plus prestigieux au sein de la société. « La profession est exigeante, elle l’est même de plus en plus, les professeurs se voient demander des missions de plus en plus complexes, un travail administratif très lourd, davantage de responsabilités sociales, pour au final moins d’autonomie, et peu d’écoute de la part des politiques. Leur statut est celui de travailleurs sociaux, » insiste Olivier Liang de l’Organisation Internationale du Travail, « c’est honorable bien sûr mais loin d’être à la hauteur de la mission que l’on veut leur confier. Cette profession doit être distinguée des autres professions, il faut mieux récompenser ceux qui servent la nation. »
Autonomie et participation aux politiques éducatives. Au-delà des du statut et de l’amélioration des conditions de travail, l’Internationale de l’Education (IE), organisation syndicale mondiale du domaine de l’éducation, souhaite davantage de liberté et d’autonomie et regrette le manque de confiance des politiques envers les enseignants. Car dans de nombreux pays, ils ne sont en effet ni sollicités ni écoutés pour la définition des politiques éducatives et ils ne peuvent parfois même plus choisir leurs pédagogies. Or, comme l’explique Dennis Synyolo, Coordinateur principale pour l’IE, « il est impératif de donner aux enseignants des ressources pour qu’ils innovent, explorent. Aujourd’hui, on attend d’eux qu’ils mettent en œuvre des politiques sans y participer, sans les comprendre et sans ressource, ils sont seulement pour la mise en œuvre alors qu’ils devraient en être à l’origine et les façonner ».
Les décideurs politiques font la sourde oreille et pourtant… De nombreux décideurs politiques devraient en prendre bonne note et s’atteler à ce défi. La France en tête. Mais pour l’heure, nombreux sont ceux qui se cachent derrière des excuses de budget trop serré et préfèrent décider sans les enseignants. Une attitude qui ne risque pas d’améliorer les taux de recrutement car liberté, autonomie, possibilité de participer, d’être entendus, de façonner…. sont bel et bien LES critères que les jeunes enseignants, venus témoigner à l’UNESCO, jugent essentiels pour attirer de nouveaux candidats. « Il faut montrer que la profession enseignante, c’est avant tout la possibilité de se former à une multitude de compétences spécifiques comme le coaching, l’accompagnement, la gestion de l’organisation, la prise de parole, la création de lien social » souligne Manreen Akhter Syed, jeune enseignante venue du Pakistan. « Les jeunes ont besoin d’avoir des perspectives de carrière et une idée de leur possibilité de parcours. Ils doivent avoir une place à la table des décideurs pour élaborer les politiques et avoir un rôle important à jouer. » La solution est donc toute trouvée. Avis désormais aux décideurs politiques !
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